A l’aide d’un logiciel spécialisé, tous les commentaires de la vidéo d’Hugo Décrypte sur les vaccins (« LES VACCINS SONT-ILS DANGEREUX ? – Supprime ») ont été regroupés dans un tableau Excel. Les commentaires, ainsi que les réponses, étaient accessibles. Seuls les commentaires « spontanés », primaires, ont été pris en compte dans l’analyse. En effet, les réponses aux commentaires sont par essence pré-orientées et sont régies par des mécanismes sociologiques et psychologiques complexes qui ne relèvent pas de notre sujet. Ces commentaires initiaux, 130 au total, ont été décomposés en 7 catégories, comme ci-dessous (la ligne rouge représente la séparation entre les personnes favorables aux propos du debunkage et ceux contre) :

Après regroupement et pour plus de clarté, on obtient ce graphique :

Attardons-nous cependant sur le premier graphique. Les attaques personnelles sont les attaques ad hominem contre Hugo Décrypte (corrompu, « vendu aux lobbys », « à la botte du gouvernement », etc.). Les « critiques du fond et des vaccins » sont des commentaires plus centrés sur les logos. Les commentaires « agressifs complotistes » désignent quant à eux les théories du complot et ne sont pas directement liés au fact-checking sur les vaccins. La catégorie « incrédulité » recouvre toutes les remarques sceptiques vis-à-vis de la vidéo et des arguments présentés, sans toutefois les critiquer. Les « critiques constructives » renvoient à des personnes convaincues sur le fond par le fact-checking de la vidéo, mais qui critiquent certains détails ou proposent d’autres approches. Les « Soutiens au debunkage » désignent les commentaires soutenant Hugo Décrypte et/ou ses propos. Enfin, les remerciements correspondent aux commentaires remerciant Hugo Décrypte de faire ces vidéos, ce qui marque une certaine adhésion au debunkage.
Tout d’abord, nous n’avons pas d’information précise sur l’échantillon. Nous savons uniquement qu’il est exclusivement composé d’utilisateurs de YouTube. Nous pouvons ainsi penser avec précaution que l’échantillon est plutôt jeune. Par extension, on peut affirmer humblement que le public est donc plus sensible au fact-checking que la moyenne mais que la part d’anti-vax et de complotistes est plus grande.
On distingue deux résultats notables. Le premier est que les personnes croyant la fake news sont surreprésentées. En effet, 33% des commentaires se rattachent à cette catégorie, contre au grand maximum 15% dans nos échantillons de questionnaires. Certes notre échantillon n’est pas représentatif, mais nous pouvons affirmer avec certitude que 33% de la population française n’est pas anti-vax. Selon une étude de Santé publique France tenue en 2016 (N = 15 000), trois Français sur quatre sont favorables à la vaccination en général, même si plus de 40% des personnes sont défavorables à une ou plusieurs vaccinations en particulier. La proportion de 75% est celle qui nous intéresse ici, les anti-vax refusant en bloc la vaccination. Il faut cependant noter que les commentaires d’une vidéo ne représentent pas non plus la population qui visionne la vidéo, dont la majorité silencieuse sur laquelle nous n’avons pas de données. La plus forte proportion d’anti-vax laisserait penser que le fact-checking a quantitativement plus de chance de faire mouche. Or, une portion infime des commentaires affirme avoir été convaincue par la vidéo et les arguments présentés. L’efficacité du fact-checking semble pâtir du format de vidéo (écoute et attention différentes, possibilité de contester en commentaire) et par le statut du présentateur, un jeune homme éduqué (n’a pas eu à vacciner ses enfants, corrompu).
Le second résultat est que la focalisation se fait autour de la personne présentant le fact-checking, Hugo. Les attaques personnelles et les remerciements représentent 20%, et une part non négligeable des soutiens au debunkage était personnelle. L’efficacité du fact-checking est donc principalement liée à l’ethos de celui qui le conduit, à sa légitimité. Les attaques personnelles affirmaient qu’Hugo était corrompu, non objectif, d’où un debunkage évidemment inefficace. Sans pour autant remettre en cause la validité du fact-checking, les affirmations de Véronique* montre bien l’importance accordée au recours à la nuance et à une certaine impartialité. Véronique* n’est pas contre les vaccins mais elle est néanmoins consciente du rôle des grands laboratoires dans la promotion de ceux-ci et voudrait que l’on laisse plus de choix aux patients concernant le recours à des vaccins ou non.
“C’est une vidéo à charge contre les anti-vaccins. On y voit peu de médecins qui ont des positions plus nuancées. Il aurait dû diversifier ses sources”.
Véronique*, 49 ans, cadre
Les remerciements suivent la logique inverse. Appréciant le personnage, ils sont plus à même de croire ses propos et d’être convaincu par son fact-checking.
Ainsi, au-delà du statut du média, le statut du fact-checker est primordial. C’est aussi ce qui est ressorti de nos entretiens. Pour plusieurs de nos interrogés, le statut du journaliste lui-même (ses compétences, ses éventuels liens avec d’autres organisations,…) est à prendre en compte et peut modifier la crédibilité du fact-checking. C’est ce que montre cette déclaration.
« Je pense qu’il est important de savoir qui est l’auteur, sa formation quand on regarde une vidéo de fact-checking. »
Véronique*, 49 ans, cadre
Nous pouvons penser que cette notion de formation est spécifiquement primordiale pour un débunkage d’infox liées à des enjeux de santé. Peut-être plus que celles du domaine politique, elles nécessitent des compétences en médecine, en biologie, en nutrition, notamment afin d’être capable d’analyser des rapports, des études scientifiques, comme cela était le cas dans la vidéo d’Hugo Décrypte.
L’impact de la possibilité d’échanger dans l’espace des commentaires serait intéressant à étudier. Permet-elle à l’individu d’être plus attentif aux arguments, vu qu’il a la possibilité de s’exprimer ? Ou bien rend-elle au contraire la vidéo moins puissante, l’individu campant sur ses positions et préférant exprimer ce qu’il pense ? La première explication est plus idéal-typique, l’individu recherchant la vérité même si elle est contraire à ses opinions et même si cela lui prend du temps. La deuxième explication est plus plausible, la vidéo demandant moins d’implication de la part de la personne. De plus, les individus complotistes tirent une certaine fierté de leurs thèses, qui illustrent selon eux une clairvoyance et une intelligence que la plupart des gens n’ont pas. Ils voient clair dans le jeu des lobbys et des puissants, alors que le commun des mortels non. Suivant ce principe, le debunkage proposé par le fact-checking est totalement vain. Cette capacité pour le fact-checking à convaincre avant tout ceux qui sont déjà convaincus a été relevé dans le cadre de nos entretiens par les interrogés eux-mêmes, comme par ce cadre :
“Je me laisse plus convaincre quand je suis déjà convaincu”
Thierry*, 49 ans, cadre
Ainsi, les individus interrogés sont sceptiques quant à la possibilité, via cette vidéo, de convaincre quelqu’un opposé aux vaccins.
“Ce n’est pas sûr que cette vidéo convaincra un anti-vax. Aujourd’hui, l’anti-vax va plutôt considérer qu’il reste une possibilité d’être atteint par une maladie, et qu’il pense en être possiblement victime. Il ne veut pas courir ce risque. […] Il considère que les autres ont fait le boulot, qu’il n’a pas besoin de se faire vacciner”
Philippe*, 50 ans, ingénieur
Ces réflexions sont symptomatiques d’un phénomène bien réel : le fact-checking est bien moins efficace chez les individus adhérant totalement à la fake news. Une étude récente a en effet montré que le debunkage avait plus d’effets pour discréditer une information opposée à notre idéologie personnelle que pour discréditer ce que nous pensons comme vrai (Walter et al, 2019).