Il s’agit ici de montrer le rôle éventuel du support utilisé sur l’efficacité du fact-checking. Plusieurs études ont en effet montré la plus grande efficacité de certains supports par rapport à d’autres. Par exemple, une étude a cherché à déterminer la manière la plus efficace de convaincre du degré de consensus scientifique (en l’occurrence 97%) relatif à l’existence d’un dérèglement climatique causé par les activités humaines (Van der Linden et al, 2014), consensus qui est souvent sous-estimé. Elle a ainsi testé trois formats différents : un texte descriptif, un diagramme circulaire et l’utilisation de métaphores. Dans ce dernier cas, le consensus était mis en parallèle avec une situation d’un autre domaine (par exemple : « Si 97% des médecins concluaient que votre enfant était malade, le croiriez vous? 97% des climatologues ont conclu qu’un changement climatique causé par les activités humaines est à l’œuvre »). Si les chercheurs ont noté que les trois supports ont permis l’augmentation de l’estimation du consensus scientifique, ils montrent aussi que le texte descriptif et le diagramme circulaire ont été les plus efficaces. Ils suggèrent que cela est dû au fait que ces derniers, par leur caractère court et facile à comprendre, permettent une meilleure mémorisation du contenu du message.
Cette efficacité de l’outil visuel a été nuancé par une recherche récente (Walter et al, 2019) qui a montré que l’utilisation d’éléments visuels et de graphiques à des fins de fact-checking avait un effet contre-productif. En effet, dans leur étude, ce type d’article convainquait moins d’individus de l’inexactitude de l’information que ceux qui n’en possédaient pas. Cette étude a aussi montré qu’un article de fact-checking plus long n’était pas moins efficace mais qu’en revanche l’utilisation d’un lexique complexe rendait celui-ci moins performant.
Une étude s’est par ailleurs intéressée à un nouvel outil. Cet outil, pour montrer qu’une citation d’une personnalité politique est fausse, fournit au lecteur le pourcentage de propos faux tenus par cette personne et la moyenne de ce même indicateur chez les autres personnalités politiques (Agadjanian et al, 2019). Elle compare cette forme de débunkage à un fact-checking porté sur la citation fausse uniquement. D’après leurs résultats, le premier outil serait plus efficace que le second.
Ici, nous avons décidé de nous intéresser à deux formats : la vidéo et le texte. La vidéo est un format de plus en plus utilisé pour débunker des informations et ce, notamment par des médias de presse écrite, comme Le Monde. Les résultats présentés ici s’appuient sur le Questionnaire Fact-checking Formats. Nous voulions voir d’une part si le fact-checking entraîné une moins grande croyance en l’information et d’autre part si des effets différenciés se produisaient entre le texte et la vidéo.
Le fact-checking est-il efficace ?
Le premier objectif de cette étude était donc de montrer si les individus ayant eu accès au contenu de fact-checking étaient moins susceptibles de considérer une information similaire à la fake news comme vraie. Voici nos résultats à ce sujet.

Effectif : N=79, individus de plus de 15 ans
L’efficacité du fact-checking par le texte
Il semble que le fact-checking par le texte soit particulièrement efficace. En effet, 81% des individus ayant eu accès au fact-checking textuel considère que l’information est fausse. Ils n’étaient que 64,3% dans le groupe témoin n’ayant pas eu accès au fact-checking. Nous pouvons donc voir que l’esprit critique des individus est exercé à la lecture d’une information – même sans fact-checking – puisque plus de deux tiers des individus perçoivent l’information comme fausse. Nous sommes donc bien loin du modèle de la seringue hypodermique développé par Harold Lasswell selon lequel les individus croiraient et intègreraient de manière passive les informations transmises. Ce modèle est mobilisé aujourd’hui pour soutenir que les fake news influencent de manière considérable ceux qui les lisent (et leurs choix politiques par exemple). Pourtant, des études ont montré que l’exposition à une infox ne signifie pas pour autant de manière directe la croyance en celle-ci (Alcott, Gentzkow, 2017).
Mais au regard de nos résultats, il semble aussi que le fact-checking ait un effet réel et convainque des personnes indécises – qui considéraient par exemple l’information comme plutôt fausse.
La vidéo, un outil a priori peu convaincant
A l’inverse, les individus ayant visualisé le fact-checking sous forme de vidéo ne sont pas plus nombreux à considérer l’information comme fausse que ceux du groupe témoin (respectivement 62,1% et 64,3%).
Ce résultat est assez contre-intuitif et déroutant dans la mesure où 43% des individus considéraient que la vidéo était le meilleur moyen de montrer qu’une information était fausse, contre seulement 18 % pour le texte. Cela va de plus à l’encontre des résultats d’une étude qui a montré que le format vidéo était plus efficace qu’un texte long pour débunker une information (Young et al, 2018). La vidéo dispose en effet de plusieurs avantages. Nous pouvons notamment citer son caractère ludique. Elle peut aussi davantage s’appuyer sur des sources visuelles, ou d’autres vidéos qu’un texte. Ces qualités de la vidéo ont été évoquées plusieurs fois dans nos entretiens.
« Le format de la vidéo est bien. C’est court, le déroulé est précis et construit. Les arguments sont préparés comme dans un reportage. «
Philippe*, 50 ans, ingénieur
Ce point de vue est partagé par une autre personne interrogée, entre 15 et 18 ans, qui souligne que l’aspect par moment « décalé » de la vidéo, avec des traits d’humour, permet de la rendre plus dynamique. Ce dynamisme est très certainement un atout majeur à la communication d’une information plus claire.
Un autre avantage de la vidéo qui a été relevé dans nos entretiens et la possibilité de montrer visuellement la fiabilité des documents, comme l’explique deux de nos interrogés.
« La vidéo donne bien l’impression que cela s’appuie sur des sources réelles, bien estampillées donc cela ajoute plutôt à la crédibilité”
Véronique*, 49 ans, cadre
“Lorsqu’il est remonté à la source des info, des études, il a montré qu’il n’existait pas de bases scientifiques à cette affirmation. »
Nathalie*, 50 ans, professeure en classe préparatoire
L’importance des sources et de leur scientificité est d’autant plus primordial dans le domaine de la santé, domaine scientifique.
Nous pouvions imaginer qu’une fracture générationnelle serait visible concernant l’intérêt pour le format de la vidéo et que la population jeune (les 15-24 ans dans notre échantillon) plébisciterait davantage celui-ci. En effet, selon une étude du Ministère de la Culture et de Médiamétrie de 2017, les sites de vidéo en ligne (comme YouTube par exemple) sont le troisième moyen d’information des 15-34 ans, derrière les réseaux sociaux et les journaux télévisés. 46% de cette population dit en faire un usage quotidien, contre 29% pour la presse quotidienne papier ou en ligne, ce qui montre un certain attrait des jeunes pour ce format. Nous avons observé une tendance qui allait dans ce sens. En effet, la vidéo constitue la solution la plus efficace pour montrer qu’une information est fausse pour 36% des plus de 24 ans contre 44% des 15-24 ans (Questionnaire général, 2019). En revanche, le texte ne paraît pas pour autant être discrédité chez les jeunes générations puisqu’il reste la meilleure des solutions pour près d’un jeune sur cinq. C’est ce que montre ce graphique.
On peut toutefois émettre quelques hypothèses qui pourraient expliquer ce résultat. Le texte est porteur d’un certain sérieux, d’une certaine scientificité, ce qui n’est pas toujours le cas de la vidéo, souvent associé au divertissement.
Fact-checking et partage de l’information
Le fact-checking : une plus faible tendance au partage de l’information
Il nous a ensuite semblé particulièrement intéressant d’étudier la propension des individus à partager l’information vérifiée, car cela reflète si l’individu croit en l’information. En effet, on peut penser qu’un individu ayant plus de méfiance envers l’information la partagera moins. Nous avons donc demandé aux individus d’évaluer, sur une échelle de 1 à 5 leur propension à partager l’information. Les résultats de notre enquête sont à cet égard intéressants comme le met en évidence le graphique suivant.

Effectif : N=79, individus de plus de 15 ans
En effet, la proportion d’individus n’ayant pas du tout envie de partager l’information augmente sensiblement si l’on considère la population d’individus ayant eu accès au fact-checking. Ainsi, alors que 50% des individus du groupe témoins n’ont pas du tout envie de partager l’information, ils sont 57% chez les individus du groupe « fact-checking textuel » et 72% chez les individus du groupe « fact-checking vidéo ».
Ce dernier résultat permet ainsi de nuancer l’inefficacité du fact-checking vidéo observée ci-dessous puisque les individus en ayant bénéficié sont ceux qui sont les plus critiques face au partage de l’information. Or c’est par sa diffusion qu’une infox gagne en ampleur. Nous pouvons donc considérer que l’aversion au partage de l’information chez les individus ayant eu accès au fact-checking, et a fortiori sous forme de vidéo, est signe d’une réussite de celui-ci.
Des motifs du partage modifiés
Non seulement la propension à partager l’information varie selon les types de supports, mais la raison du partage connaît elle aussi quelques modifications.

Effectif : N=79, individus de plus de 15 ans
Certains motifs de partage sont présents à niveau environ égal selon les groupes. C’est ce qu’on observe pour le partage visant à demander la confirmation d’une personne ayant des compétences dans le domaine concerné, qui concerne entre 20 et 30% selon les groupes.
Ainsi le fact-checking, comme la fake news, semble aussi capable, dans une certaine mesure, d’être diffusé. Il n’aurait donc pas seulement un impact individuel mais aussi plus général.
Mais une modification nette est observable. Les individus des groupes 2 et 3, en comparaison de ceux du groupe témoin, sont plus enclins à partager l’information pour prévenir que celle-ci est fausse. Ainsi, un tiers des personnes du groupe 2 la partagerait à cette fin. On retrouve ici le fait que le texte est jugé comme particulièrement convaincant. Ils sont moins nombreux dans le groupe « fact-checking vidéo » (13,8%) mais cependant significativement plus nombreux que dans le groupe témoin. En effet, aucun individu du groupe témoin ne l’aurait fait.
En revanche, aucune tendance claire ne ressort concernant d’éventuelles différences sur ce que les individus seraient amenés à faire après avoir eu connaissance de la fake news. Dans les trois cas, les comportements les plus fréquents consistent à ne rien faire ou à chercher d’autres articles sur le sujet. On observe une part importante du groupe « Fact-checking texte » voulant en parler à leur médecin. On peut donc imaginer que, face à des informations contradictoires (la fake news et le fact-checking), l’individu cherche à faire appel à une figure d’autorité (le médecin) pour trancher. Cependant, cela ne se retrouve pas dans pour le groupe « Fact-checking vidéo », ce qui est assez déroutant et ne valide pas cette hypothèse.

Effectif : N=79, individus de plus de 15 ans
D’autres variables que le fact-checking pourraient expliquer une moindre croyance en la fausse information
Le rôle du niveau de connaissances
De manière générale, c’est-à-dire les trois groupes confondus, les individus ayant de bonnes connaissances dans le domaine de la santé et de la nutrition considèrent plus l’information comme fausse. Cela va dans le sens de l’hypothèse H2. Nous considérons qu’un individu a de bonnes connaissances dans ces sujets s’il a répondu correctement à au moins quatre questions sur les six posées dans notre questionnaire. 81 % des individus ayant de bonnes connaissances nutritives considèrent que l’information est fausse contre seulement 64% des individus ayant peu de connaissances en ces domaines.

Effectif : N=79, individus de plus de 15 ans

Effectif : N=79, individus de plus de 15 ans
Ainsi, nous observons des effets contrastés concernant l’impact du format utilisé sur l’efficacité du fact-checking. Le texte apparaît comme plus convaincant que la vidéo, ce qui infirmerait l’hypothèse H3. Mais les deux formats incitent davantage les individus à ne pas diffuser l’information, et s’ils la diffusent, ils sont plus nombreux à le faire pour montrer que l’information est fausse.
*Les prénoms ont été modifiés.